Novembre 2022

Retour d’exil

C’était vendredi dernier, jour férié du 11 novembre. Les Parisiens ont déserté la capitale en ce week-end prolongé.
Il est 18h dans le quartier presque endormi de la Goutte d’Or quand des tambours résonnent rue Doudeauville. Une dizaine de Sénégalais marchent en dansant et chantant. 

Que célèbrent-ils ? L’un d’eux, Tidiane, m’informe que ce jour marque le retour d’exil de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur en 1886 du Mouridisme, une confrérie islamique soufie du Sénégal. 

Le pays est alors gouverné par l’administration coloniale française qui s’inquiète de la popularité du chef religieux. Elle décide de le déporter au Congo en 1895. Après 7 ans d’exil, Ahmadou Bamba revient au Sénégal le 11 novembre 1902. 

11/11/22, rue Ernestine, Paris 18

Ce n’est pas la première fête mouride à laquelle j’assiste dans le quartier. 
Le 6 octobre 2020 alors que la nuit tombe, chants et danses animent la place Louis Baillot, au carrefour des rues Ordener et Marcadet. Les écrans de téléphone filment un homme aux allures de prêcheur. C’est la première fois qu’on me parle du mouridisme et de son fondateur. J’apprends que ce jour fête le départ en exil du même Ahmadou Bamba, soit la plus importante fête religieuse des mourides.   

06/10/20, place Louis Baillot, Paris 18


Mais en quoi le mouridisme se démarque-t-il des autres branches de l’islam ? Tidiane m’explique que ses pratiquants, les Bay Fall, ne prient pas et ne jeûnent pas. C’est le travail qui tient lieu de prière et la pratique religieuse du Bay Fall se fait à la sueur de son front. 
Leur présence rappelle que l’islam ne se réduit pas à la division entre sunnites et chiites. 

A travers ces rencontres, je comprends qu’il n’y a pas une mais des identités musulmanes, que l’interprétation d’une religion est aussi multiple que les branches d’un arbre, et que ces branches peuvent s’entrelacer et cohabiter, quel que soit le pays ou le continent.

Cel


Barbès sans Tati ?!

« Ça, pour ça, ça a toujours été commerçant Barbès, mais c’est vrai que c’est plus pareil, y’a pas à dire… »
Voilà ce que disait une habitante du quartier il y a déjà 15 ans*. 

Et aujourd’hui, que dirait-elle ? A quoi ressemblera Barbès sans Tati ?

Car au fil des décennies, c’est tout un système Tati qui s’est mis en place dans le quartier, en s’étendant au-delà des seuls magasins de la marque. Des boutiques de destockage ont essaimé partout sur le boulevard, proposant elles aussi « les plus bas prix ».

Aujourd’hui, alors que Tati n’est plus, ces boutiques continuent à reproduire cette ambiance de braderie permanente, avec leurs bacs sortis sur le trottoir, contenant serviettes de bain, vêtements pour bébé et gadgets divers à prix bradés.

A quelques mètres, dans l’ex-immeuble Tati faisant face à la Brasserie Barbès, s’est niché un concept-store à mi-chemin entre la galerie et l’espace de co-working.

Derrière ses vitrines sont exposées des revues d’art en français, anglais, italien, arabe. Sur une table traînent des croquis de mode, probablement la future collection d’une marque afro branchée avec blousons estampés « Fela Kuti ».

Derrière une porte cachée à l’étage, on entre dans ce qui reste du passé : des sols nus, des murs de ciment, une balustrade d’escalier en ruine, une vitrine sur laquelle se reflète l’image d’un Sacré-Cœur au dôme rose Tati.

* Extrait de l’article d’Emmanuelle Lallement sur https://www.cairn.info : « Tati et Barbès : Différence et égalité à tous les étages »


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